Les faits
Par un recours introduit le 6 mars 2013, le propriétaire demande la résiliation du bail et l'expulsion du locataire, le recouvrement du loyer (1 400 $)ainsi que le loyer dû au moment de l'audience. Le propriétaire demande de plus la résiliation du bail au motif que le locataire paie fréquemment son loyer en retard. Le propriétaire, à l'audience, reconnaît que le locataire a payé le loyer dû ainsi que les frais judiciaires et qu'aucune somme ne lui est due.
Pour sa part, le locataire admet avoir, par le passé, accusé des retards dans le paiement de son loyer. Considérant le paiement effectué, le locataire n'est pas en retard de plus de trois semaines pour le paiement du loyer, la résiliation du bail ne peut pas être accordée par le tribunal.
En ce qui a trait à la demande pour retards fréquents, la Régie du logement, suivant l'accord des parties, rappelle au locataire que le loyer est payable, suivant l'article 1903 du Code civil du Québec, le premier jour de chaque mois. Pour ces motifs, la Régie prenait acte des admissions et ententes intervenues entre les parties.
Le 19 novembre 2013, erronément le propriétaire saisissait le tribunal d'une demande de résiliation de bail au motif que le locataire n'avait pas respecté une ordonnance du tribunal dans la décision du 15 mai 2013 dans laquelle la Régie avait pris acte des admissions et entente intervenue entre les parties. Le propriétaire croyait faussement que la décision du 15 mai 2013 équivalait à une ordonnance du tribunal et que le non respect de l'ordonnance pouvait entraîner la résiliation du bail.
Pour corriger l'erreur, par l'intermédiaire de son procureur, le propriétaire amende sa demande pour requérir la résiliation du bail pour des retards fréquents, ce qui cause un préjudice sérieux au propriétaire.
L'objection du locataire
Le propriétaire veut mettre en preuve des retards du locataire à payer ses loyers antérieurs à la décision rendue par la Régie le 15 mai 2013. Le locataire s'y oppose, plaidant la chose jugée quant à ces loyers. La Régie rappelle l'article 2848 du Code civil du Québec qui établit les critères de la chose jugée : une demande fondée sur la même cause et mue par les mêmes parties, que la chose demandée est la même alors qu'un jugement a déjà été rendu sur les mêmes prémisses.
Or, selon la Régie, force est de constater que le tribunal ne s'est pas prononcé sur les retards antérieurs au 15 mai 2013, il ne se prononce sur aucun motif avancé par les parties et il n'émet aucune décision, ni ordonnance. C'est d'ailleurs pour cette raison que la demande de résiliation du bail pour non-respect d'une ordonnance du 19 novembre 2013 était mal fondée puisque aucune ordonnance n'avait été rendue. La Régie s'était contentée de témoigner des admissions et ententes entre les parties, sans plus, et sans les contraindre de quelque façon ou se prononcer elle-même sur les enjeux de la demande.
Conséquemment la Régie rejette l'objection du locataire et décide qu'il n'y a pas chose jugée quant aux retards antérieurs au 15 mai 2013, les quels peuvent être soulevés à nouveau en preuve dans la présente affaire.
La preuve des retards
Le mandataire du propriétaire témoigne que le propriétaire et lui sont assez tolérants quant aux retards. Mais les choses ont dépassé les bornes quand le locataire lui a remis 2 chèques sans provision pour le paiement du loyer des mois d'octobre et novembre 2012, suivi par une absence totale de paiement du loyer du mois de décembre 2012. Au mois de janvier 2013, le locataire émettait un chèque devant couvrir les retards et les frais mais que le locataire lui demandait de ne pas encaisser.
C'est au mois de février 2013 que le locataire payait une partie de ses loyers en retard. Il promettait alors le paiement complet pour la semaine suivante, ce qu'il n'a pas fait remettant alors encore un paiement partiel et exprimant cette fois son souhait d'être à jour
pour le 1er mars 2013.
Aucun paiement supplément ne lui étant parvenu, Je 6 mars 2013 le propriétaire dépose sa demande de loyer et de retard fréquents.
Le 11 mars 2013, le locataire acquitte le solde et les frais avant l'audience de la cause. La Régie rend sa décision le 15 mai 2013 et rappelle au locataire de payer son loyer le 1er de chaque mois. Le 1er avril et le 1er mai 2013, le locataire paie son loyer le premier jour du mois. Dès juin 2013, il recommençait à payer en retard avec une exception pour les mois de mars et d'avril 2013. Le 1er décembre 2013, le locataire remettait un chèque sans provision.
Aucun préjudice financier
L'immeuble appartient à une fiducie testamentaire. Au chapitre du préjudice sérieux causé par les retards à la fiducie, le fiduciaire exclut tout préjudice financier. La fiducie n'est pas déficitaire pour ce motif.
Il fait plutôt état des problèmes administratifs que cela amène, allant jusqu'à la menace de son mandataire de cesser de percevoir les loyers. Le mandataire passe un temps excessif à la question que constitue la violation répétée du locataire de son obligation au bail de payer son loyer le premier jour du mois. Il ajoute en plus que la situation devenait si compliquée, qu'il a senti le besoin de s'adjoindre les services d'un avocat car il n'est pas lui-même familier avec les lois et règlements qui régissent le bail résidentiel.
La défense du locataire
Le locataire fait valoir que plusieurs des locataires paient leur loyer en retard sans qu'ils fassent l'objet de semblables démarches par le locateur. Il revendique le même droit de payer en retard.
Au surplus, il argumente que puisque le locateur, de son admission, n'encourt pas de préjudice économique sérieux en raison de ses retards, il ne peut prétendre au préjudice sérieux de l'article 1971 du Code civil du Québec.
Aussi puisque le locateur prend du temps à déposer le loyer, il ne devrait pas être pressé de le recevoir au début du mois.
La décision de la Régie
Selon la Régie du logement, la preuve démontre que le locataire prend des largesses avec le paiement de son loyer, retardant son paiement au gré de sa situation financière. Il ne peut pas invoquer la tolérance du locateur à l'égard de ses voisins. La preuve démontre que le locataire a aussi bénéficié de la tolérance du locateur. Longtemps avant que le locateur entreprenne ses premières démarches au mois de mars 2013, le locataire avait pris l'habitude de ne pas respecter son obligation du bail.
La preuve démontre qu'en 2013, les retards se sont faits plus longs et plus importants, allant jusqu'à quelques mois de retard. Des retards plus importants que ceux dont des voisins ont témoigné. Quoi qu'il en soit, il n'appartient pas au locataire de s'immiscer
dans les décisions administratives du locateur au chapitre des moyens qu'il prend pour s'assurer du respect du bail. La Régie conclut que le locataire paie fréquemment son loyer en retard.
Quant à l'absence de préjudice économique sérieux, la Régie cite une jurisprudence : " Dans l'affaire Leboeuf (1) portant sur les retards fréquents, la Cour du Québec concluait que 20 retards dans le paiement des loyers constituent un trouble de fait et également un trouble du droit en contrevenant aux termes du bail et à ceux de l'article 1903 du Code civil du Québec. L'on concluait alors que ces troubles de fait et de droit justifient la résiliation du bail." (2)
Selon la décision, la preuve démontre que le locataire est coupable de nombreux retards, certains d'une durée de quelques mois. Il a aussi remis des chèques qui n'ont pas été honorés, par manque de fonds. Les retards du locataire obligent le mandataire du locateur
à de nombreuses démarches pour obtenir le paiement du loyer. Des démarches excessives selon le tribunal.
La Régie résilie le bail et déclare que les retards fréquents causent un préjudice sérieux au propriétaire :
" La soussignée opine que les retards répétés du locataire causent assurément au locateur un préjudice sérieux tant en raison des nombreuses démarches administratives et judiciaires auxquelles il est astreint pour obtenir le paiement du loyer qu'en raison du préjudice de droit répété du fait que le locataire ne respecte pas son obligation au bail à ce chapitre, l'obligation à laquelle il a librement
souscrit, soulignons-le." (3)
1- Leboeuf c. Louafi, 500-80-007640-064, Cour du Québec, 6 juillet 2007. Juge Jacques Paquet.
2- R.L. Demandes réunies, 1363920,42275, 1423837. Bureau de Montréal. Linda Boucher, juge administratif. Page 7. paragraphe 84
3- Opus ci tare. Page 7. paragraphe 88