Du point de vue de la stabilité financière, la capacité des propriétaires d'habitations à effectuer leurs paiements hypothécaires à temps est cruciale. C'est particulièrement vrai dans le contexte canadien, où plus de 75 % de la dette des ménages est attribuable aux prêts hypothécaires.
Les taux d’intérêt accrus, les coûts élevés des logements et la hausse du coût de la vie ont mis le budget mensuel des ménages canadiens fortement sous pression.
Ces pressions financières, combinées à la légère hausse du chômage, se sont récemment traduites par une hausse des prêts hypothécaires en souffrance. Un prêt est en souffrance si les paiements sont en retard depuis plus de 90 jours.
La part des prêts en souffrance continue de frôler des creux historiques (selon l’Association des banquiers canadiens, elle s’élevait à 0,19 % en février 2024 (PDF) ). Selon d’autres indicateurs avancés cependant, le bien-être financier des ménages canadiens serait plus menacé qu'il n'y paraît.
Parmi ces indicateurs se trouvent l’évolution des comportements en matière de crédit, le taux d’épargne négatif et la hausse des comptes en souffrance pour les cartes de crédit, les prêts automobiles et les marges de crédit. Ces indicateurs révèlent que les emprunteurs hypothécaires au Canada ne sont peut-être pas aussi solides financièrement qu’on le pense (tableau 1).
En fait, la confiance des emprunteurs hypothécaires a également été touchée de façon négative. Selon l’Enquête 2024 auprès des emprunteurs hypothécaires de la SCHL, près d’un quart des répondants s'inquiètent de plus en plus de leur capacité à faire leurs paiements hypothécaires. La dégradation de ces indicateurs, jumelée à un marché de l’emploi plus souple en 2024, suggère que les prêts hypothécaires en souffrance atteindront les niveaux d’avant la pandémie d’ici la fin de l’année.
Alors que les niveaux d’endettement des ménages ont atteint un sommet historique, la fragilité financière des ménages endettés est devenue l’une de nos principales sources de préoccupation.
Les décideurs et le secteur financier surveillent de près les risques pour l’économie globale et la stabilité du système financier. En effet, un choc inattendu pourrait pousser un plus grand nombre de ménages en situation de défaut de paiement.
Les prêts hypothécaires en souffrance ne montrent qu’une partie du tableau : les ménages éprouvent des difficultés financières depuis un certain temps
De manière générale, la proportion de prêts hypothécaires en souffrance est considérée comme le principal indicateur de stress financier des propriétaires d'habitations. Cependant, elle ne donne qu’un aperçu du tableau, car il s’agit d’un indicateur tardif.
Autrement dit, si un ménage n’a pas effectué ses paiements hypothécaires depuis plus de trois mois, il y a de fortes chances qu’il éprouve des difficultés financières depuis plus longtemps. Au Canada, les propriétaires d'habitations accordent souvent la priorité aux paiements hypothécaires par rapport au paiement d’autres dettes et aux dépenses non essentielles.
Par conséquent, au début d'une période de difficultés financières, la consommation tend à diminuer. Lorsque la pression financière augmente, les ménages peuvent puiser dans leur épargne ou emprunter davantage.
Si leur situation financière persiste ou s’aggrave, les consommateurs peuvent choisir de vendre une partie de leurs actifs pour rester à flot dans leurs paiements hypothécaires. Soumis à un stress financier prolongé, les propriétaires d'habitations pourraient épuiser leurs ressources financières. Il s'ensuivrait alors des défauts de paiements hypothécaires et des prêts hypothécaires en souffrance, ce qui les exposerait à un risque élevé de défaut.
Durant les trimestres précédents, nous avons constaté une hausse graduelle des prêts hypothécaires en souffrance par rapport à leurs niveaux historiquement bas. On compte maintenant plus de 12 600 prêts hypothécaires en souffrance depuis plus de 90 jours.
Le stress financier des ménages se reflète dans d’autres indicateurs plus révélateurs de la situation actuelle. Les indicateurs avancés suivants suggèrent que le fardeau financier des emprunteurs hypothécaires est plus lourd qu’il ne le semble à première vue.
- Le coussin financier accumulé pendant la pandémie est épuisé : Les données récentes sur le crédit montrent que les emprunteurs hypothécaires qui sont plus susceptibles de déposer une demande de faillite1 ont augmenté leur dette en moyenne. De plus, l’édition du printemps 2024 du Rapport sur le secteur des prêts hypothécaires résidentiels révèle que le nombre d’emprunteurs pour qui la probabilité de faillite est élevée a également augmenté.
- Utilisation croissante du crédit pour rembourser d’autres dettes : Une proportion grandissante d’emprunteurs ont un pointage de crédit faible et une probabilité accrue de faire faillite suggère qu’on cherche à emprunter davantage ou d’utiliser de plus en plus le crédit renouvelable (soit des cartes de crédit ou marge de crédit) pour payer leurs mensualités (figure 1).
- Les ménages à revenu faible ou moyen utilisent leurs économies pour joindre les deux bouts : Au dernier trimestre de 2023, le taux d’épargne des ménages est demeuré stable, à 6,2 % en moyenne, après avoir chuté par rapport au sommet de 11 % atteint pendant la pandémie. Cependant, la répartition des ménages en fonction des niveaux de revenu montre des tendances assez différentes. Les ménages à revenu élevé ont enregistré un taux d'épargne net de plus de 12,6 %, tandis que ceux à faible revenu puisent dans leurs économies chaque mois. La hausse des coûts, surtout de ceux liés au logement et à d’autres biens et services essentiels, a dépassé la hausse des revenus pour les familles à faible revenu.2
- Hausse des taux de comptes en souffrance pour les autres produits de crédit : Chez les emprunteurs hypothécaires, le nombre de paiements en souffrance a augmenté pour les prêts automobiles, les cartes de crédit, les marges de crédit et, plus récemment, les marges de crédit hypothécaire. C'est signe qu’une part croissante des utilisateurs de crédit éprouvent de la difficulté à rembourser leurs dettes. Les propriétaires accordent la priorité à leurs paiements hypothécaires et les hausses du pourcentage de prêts hypothécaires en souffrance ont été précédées par une augmentation des défauts de paiement pour d’autres produits de crédit.
- Plus d’un quart des répondants à l’Enquête craignent de ne pas être en mesure de rembourser leur prêt hypothécaire : Par conséquent, beaucoup d’emprunteurs prennent des mesures pour réduire leurs dépenses, changent leur budget ou cherchent d’autres façons d’augmenter leur revenu. La majorité des emprunteurs ont ressenti le lourd fardeau de leur dette, mais seulement 14 % ont eu de la difficulté à faire leurs paiements hypothécaires.
Ces changements notables dans les comportements financiers, une tendance récente à la désépargne et une faible confiance chez les emprunteurs hypothécaires laissent entendre que de plus en plus de gens au Canada vivent d’un chèque de paie à l’autre et font preuve de créativité pour trouver des moyens de rester à flot.
De plus, près de 50 % des emprunteurs devront renouveler leur prêt hypothécaire cette année ou l’an prochain, à un taux plus élevé que leur taux actuel. Ce contexte sans précédent rend les emprunteurs hypothécaires encore plus vulnérables à tout changement dans leur emploi ou aux évènements de la vie susceptibles de nuire au revenu de leur ménage.
Les prêts hypothécaires en souffrance devraient augmenter, mais leur hausse sera limitée par l'amélioration des conditions sur le marché du travail en 2025
Historiquement, le chômage est le principal moteur de la hausse des prêts hypothécaires en souffrance (Figure 2). Récemment, le marché du travail canadien a montré des signes de ralentissement, le taux de chômage étant monté à 6,1 % en avril (par rapport à 5,1 % un an plus tôt).
Cette récente hausse des pertes d’emplois, conjuguée aux difficultés financières accrues des ménages, a récemment fait augmenter le nombre de propriétaires d'habitations en situation de défaut. Ces données mettent en évidence le lien direct entre emploi et logement pour les propriétaires endettés, surtout dans le contexte des niveaux d’endettement élevés.
Le chômage ayant continué d'augmenter légèrement en 2024, on peut s’attendre à ce que les prêts hypothécaires en souffrance poursuivent leur tendance à la hausse. Toutefois, leur hausse sera limitée par le resserrement du marché du travail qui est attendu à partir de l’an prochain.
En fait, comme nous prévoyons une baisse des taux d’intérêt, l’année 2025 devrait être caractérisée par un regain de l’activité économique.
Cet élan économique permettra de réduire les pertes d’emplois potentielles, qui autrement auraient pu faire augmenter les prêts hypothécaires en souffrance – surtout dans un contexte de vulnérabilité financière accrue des ménages.
La liquidité du marché de l’habitation pourrait aussi permettre aux familles en difficulté de vendre leur propriété sans se retrouver en défaut de paiement de leur prêt hypothécaire
Comme l’indiquent nos plus récentes prévisions sur le logement, la baisse des taux d’intérêt et la forte croissance démographique contribueront au resserrement du marché de la revente. Cette situation contribuera à soutenir la hausse des prix des habitations et limitera le temps nécessaire pour vendre une propriété sur le marché.
Pour les ménages qui ont du mal à joindre les deux bouts, la liquidité du marché pourrait faire de la vente de leur habitation une solution financièrement viable pour éviter un défaut de paiement de leur prêt hypothécaire. Par conséquent, la liquidité des marchés de l’habitation au Canada pourrait limiter la hausse des prêts hypothécaires en souffrance.
La pression financière croissante épuise l'épargne des propriétaires | SCHL (cmhc-schl.gc.ca)